samedi 23 juin 2007

Régine Détambel et nous...

On en soupçonnait l’existence. Apollodore de Sicile y fait une allusion, obscure comme la nuit des temps. Le commentaire d’Apollodore que fait Pline l’Ancien semble tiré par la natte. Médiévistes et Préhistoriens, s’ils sont d’accord sur sa valeur de mythe purificateur, se crêpent le chignon sur son usage. Les contributions des historiens d’art ne sont pas de nature à démêler les fils de l’énigme. Les africanistes, nouveaux venus dans le débat, y apportent la méticulosité ennuyeuse et têtue des chercheurs de poux dans une tonsure. C’est en effet à un anthropologue spécialiste de l’Afrique de l’Ouest, que l’on doit la première description détaillée de l’objet.
Imaginez une gaule rigide haute comme trois fois un homme, surmontée perpendiculairement d’une planche de dimensions nettement plus réduites et munie de fortes pointes : un râteau géant.
Le manche est généralement taillé dans un bois durci au feu, tel un épieu, mais la traverse, elle, travaillée avec art, se présente dans des matériaux et formes d’une grande diversité :
En voici une en corne de gazelle dont les pointes vrillent comme des tourillons, une autre, plus aristocratique, en forme de main gantée d’ivoire, une autre encore, cintrée comme une coquille St Jacques, courbant ses longs ongles d’onyx.
Partant de là, les conclusions quant à la fonction de l’objet divisent le monde scientifique en deux camps aussi nettement séparés que par la raie dans une chevelure.
Pour les uns, c’est un engin de guerre semblable à la catapulte, avec lequel on ratissait des armées entières.
Pour d’autres, un instrument de torture avec lequel on étripait des armées entières jusqu’à ce que les entrailles sortent et puissent ainsi être étalées sur le sol comme un engrais.
Mais la finalité cynégétique est affirmée par ceux qu’interpelle la longueur du manche et qui en déduisent une utilisation verticale : d’après eux, on en disposait un grand nombre côte à côte comme des échalas, à fin d’y faire s’y empaler les singes et autres habitants bondissants des frondaisons.
On trouve encore une interprétation, que je donne ici à titre de curiosité :
Il existerait, en Afrique, un animal étrange, à la robe tachetée de léopard, aux longues jambes de chameau. Sa tête s’emmancherait sur un cou encore plus long que celui du « voyageur d’autobus», espèce bipède parisienne bien connue des passagers de la ligne S (aujourd’hui 84).
Cet animal serait l‘objet d’une vénération telle que celle de la vache chez les peuplades de l’Indus, de l’aigle chez les sauvages tribus d’Amérique ou de l’ours chez les chasseurs du paléolithique. Il existerait un collège de vierges entraînées à l’entretien de cet animal, que les arabes, qui en ont entendu parler, nomment « zerafa ». Une fois par an, la zerafa est menée en cortège jusqu’en une clairière. Les jeunes vierges trempent l’extrémité dentée de la gaule dans des teintures ocres et blanches et, redressant le long manche de l’instrument, tel un perchiste sa perche, prennent leur élan pour dessiner sur le long cou de la zerafa les figures sacrées et propitiatoires. Ce rite aurait pour nom : « peigner la zerafa », du nom supposé de l’objet : « le peigne à zerafa » .
Une théorie qui a suscité un intérêt certain au dernier symposium tenu sur le sujet.

Odette Vostal
17 mai 2007

Le Taille-Crayon d’Argent.

Cette masse à la chair métallique froide au premier contact est plutôt lourde
pour sa faible taille. Petite chose, elle a cependant la taille fine et se laisse enlacer entre le pouce et l’index. On la réchauffe vite au creux de la main.
Une fente, fine aussi, orne sa face supérieure. Sur celle du dessous elle se pose, se
repose dans le creux de la main, par exemple.
A l’avant elle est grande ouverte, l’arrière dont nous verrons l’usage est tout
resseré. Cette petite chose est faite pour tailler. Et elle taille sans état d’âme tous les membres d’une même famille : B ,2B, HB etc. Dans cette famille ils sont tous très droits, longs et durs, voire cassants mais l’intérieur si tendres et fragiles. Ils se ressemblent tous ; on ne les distingue que sur leurs mines : grasse et foncée, sèche et grise, rouge, jaune ou blanche et que sais-je encore ? La face grande ouverte accueille le préposé à la taille (certains spécimens peuvent accueillir deux préposés).Il y pénètre donc et plus il s’enfonce plus il est serré. Il y fait trois tours, cinq sept les plus coriaces et puis s’en va. Il y a laissé un peu sa peau mais en sort la mine réjouie, à tout le moins rafraîchie.
Par l’arrière sort ce dont B ,2B, HB voulaient se débarrasser. Ils se débarrassent
de ce qui leur permet de laisser une trace. Nous assistons à a un des paradoxes de
cette petite chose : elle les prend grands et jeunes, les restitue de plus en plus petits jusqu'à les faire disparaître. A la dernière visite elle les engloutit. On observe le deuxième paradoxe par la fente où l’on voit B ,2B, HB se contourner, se dépouiller de leurs vieilles peaux et leurs corps se rabougrir. Séparés du corps, leurs peaux se chagrinent. Taille-Crayon d’Argent apparaît donc comme une métaphore de la vie à l’envers. B ,2B, HB leur vie durant tracent, dessinent, colorient. Ils se donnent à toutes les mains qui les manipulent pour créer les images de l’amour, les mots de l’amour.
Quand ils sont en panne vite vite on les emmène chez la petite chose qui les
requinque mais toujours plus les réduit. Non, on ne peut pas les dissocier. Ils forment un couple infernal, certes, mais inséparables ç la vie à la mort.

Ca te fait une belle jambe, soit, mais t’as bonne mine maintenant, hein !

Gilbert Dombrowsky mai 2007

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