samedi 23 juin 2007

A la manière de Raymond Roussel et de C.Oriol-Boyer

Gilbert Dombrowsky

Manuscrit retrouvé et par mes soins tapé le 22 NOVEMBRE 2006

Le cœur desséché de cette vieille racine se tarissait, rétrécissait au fil des saisons. La tige nourricière, suprême et vénérable vestige d’un réseau d’approvisionnement souterrain désormais saboté, se désolait, grave et grise dans la poussière ocre-sienne. Les autres avaient été sectionnées avec Dieu seul le sait quelle tronçonneuse ! puis sérieusement aspergées de goudron. On, mais qui sont ces salauds qui saignent les rhizomes, avait jouissivement dégagé la terre autour du tronc squelettique ; il lançait ces bras comme des S.O.S., il implorait la clémence du ciel . Une seule subsistait comme pour mieux torturer le cœur de Monsieur Siramus, notre très bon auguste et noble jardinier. Le sassafras _ dont les racines sont aromatiques dixit Robert le Grand et le Petit _ échappa au massacre. Le figuier souffrait et quand le sirocco s’y collait, Siramus se désespérait ; de notre Intendant-Censeur ,ce triste sire, il avait reçu l’ordre de ne pas dissiper l’engrais et l’eau qui l’eut sauvé . De fait l’ordre venait de Notre Mère Supérieure et lui en prélat-économe du monastère et en dépit du bon sens s’inclina oh !le lâche _ Mon Dieu ne lui pardonnez jamais cet affront fait à vos œuvres … mais je m’égare (non ,mais vrai, Seigneur, nous vos humbles servantes en savons long … mais je m’égare encore petite sotte que je suis ).

Ainsi donc les feuilles tombèrent à peine en feuille. L’ombre était pâle, mesquine et misérable. Sans le savoir notre fidèle Siramus avait réalisé le rêve pingre d’Elle, La Supérieure : un arbre sans ombre, une ombre sans fraîcheur, soit une journée sans sieste ni figues encore toutes onctueuses et tièdes.

Or notre Siramus n’aimait rien tant que s’allonger dans l’herbe, un fromage de chèvre de la panchetta des pois chiche des olives des figues un pain de seigle, son gros opinel et une fiasque de rouge au coté droit . Et quand il avait ouvert sa chemise de toile, recouvert ses yeux de sa paille à larges rebords et ôté ses savates en corde c’est qu’il allait faire un petit roupillon, mon Siramus . Mon Dieu ! ses pieds, comme vous les avez bien dessinés :leur voûtes si rondement courbées, les talons et les plantes larges et fermes et qu’on devine pleins de vigueur, les orteils longs et grassouillets, ses attaches fines, délicates et d’Achille le tendon viril…il aurait marché sur le feu sans s’émouvoir cet homme… oh voila qu’encore je divague, grosse bécasse que je suis. Tiens pendant que j’y suis, les délicieuses figues dont le jus vous coule sur les joues, oh oui je sais c’est péché, Seigneur, mais pourquoi les avoir faites si pulpeuses et juteuses à la fois … bon je vois bien que je me mêle encore de ce qui ne me regarde pas, Vous aviez certainement une bonne raison… donc les figues, je disais, c’est Siramus qui nous les faisait passer sous le manteau, des bien rondes et toutes gonflées d’un bon jus sucré , et comme ni lui ni nous n’avions le droit de nous approcher à moins de cinquante mètres, il nous les déposait mine de rien et de réjoui sur un muret . Et nous naïves Nonnettes nous gloussions de tant de petits bonheurs à venir en cachette sous les draps ; La Sup. ne supportant pas de nous les voir gloutonner au réfectoire : c’est le fruit du Diable, disait-elle ; et là je veux bien la croire, peuchère. Y’a qu’à voir comment Siramus avec ses deux pouces il en ouvre une par le milieu, doucement en écarte les deux moitiés, y plonge son regard longtemps, longtemps, longtemps, absorbé et méditant tant qu’il en transpire, puis y pose ses lèvres et là (délaissant ses papilles) il rêve … à l’origine du monde, marmonne-t-il. Ouh, l’origine du monde ! moi, rien que d’y penser j’en ai des frissons et mon duvet qui se dresse sur les bras.

Donc où en étais-je, aille aille aille j’en perds la tête, ah oui… donc plus de sieste, plus de pause, il n’ose plus s’asseoir au pied du tronc _ bon, allez j’abrège _ il ne peut plus s’arrêter pour cueillir , il sait qu’en permanence Elle le surveille derrière les rideaux de serge rouge de sa cellule voûtée. « Remords Regrets Repentirs ; quels naufrages ! » Il eut souhaité l’étrangler plutôt que de voir notre Trentenaire Sup. déjà vieille, ce fruit desséché, ce fruit confit en dévotion, marinée sous la bure et la discipline. Et voila comment tout c’est terminé. Une après midi d’orage courant comme un forcené tête baissée se mettre à l’abri dans la grange il m’a bousculée, et avant que je n’eusse touchée terre m’a enlevée dans ses bras. De ma vie je l’entendrai toujours clamer à belles dents et moustaches retroussées _ oh, comme il parle bien mon beau Siramus !:
« Au fond du désespoir bienvenu soit l’orage ; fuyons, jolie Capucine, fuyons le cœur desséché de cette vieille radine ».


« Journal 1920-1964 ; T II , « Mes années Capucines »
Madame Siramus D’Estregac Grasse, Août 1964

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